Les semences de maïs non traitées : Une question de changement d’habitudes? 

Les semences de maïs non traitées : Une question de changement d’habitudes?

Mai 2022

Les semences non enrobées font tranquillement leur chemin au Québec

Depuis quelques années, l’utilisation de semences de maïs non traitées aux insecticides croit au Québec. Difficile pour l’instant de déterminer le pourcentage de ce type de semences vendues  dans la province, mais selon un article de la Terre de chez nous paru l’automne dernier, environ 80% des semences au Québec achetées par les producteurs sont traitées aux insecticides. La bonne nouvelle est qu’il y a désormais davantage de choix qui s’offrent aux producteurs recherchant une alternative, si on compare à quelques années auparavant.  

Cette tendance prendra-t-elle l’ampleur souhaitée par plusieurs dans les prochaines années? La question se pose!

Des études québécoises en viennent aux mêmes conclusions

L’utilité des semences de maïs traitées aux pesticides a fait l’objet à la fois d’un projet et d’une étude au Québec dans les dernières années.

Le Centre de recherche sur les grains (CEROM) a mené une étude sur l’impact des semences de soya et de maïs traitées aux néonicotinoïdes sur les populations de ravageurs. Les essais ont eu lieu entre 2012 et 2016 dans 84 champs situés dans sept régions. Aucune différence significative n’a été notée sur le rendement ou la tenue des plants entre les semences traitées et non traitées.

Les semences traitées aux néonics seraient en fait efficaces dans seulement 5 % des cas en raison du faible niveau d’infestation et de dommages. Il faudrait donc éviter de les utiliser de manière préventive. Les chercheurs en sont venus à la conclusion qu’il faut développer des stratégies intégrées de contrôle des prédateurs comme alternative aux producteurs.

Un projet du Réseau de vitrines à la ferme pour favoriser la réduction des risques liés aux pesticides en grandes cultures a poursuivi des objectifs similaires. Tenu durant les années 2018 et 2019, il a rejoint un peu plus de 700 producteurs et intervenants dans 11 régions du Québec, grâce à une cinquantaine de sites de parcelles à la ferme. Trois thématiques étaient poursuivies : les herbicides à faible risque dans le maïs; l’utilisation raisonnée de traitements de semences insecticides dans le maïs et l’utilisation raisonnée de fongicides dans le soya. Dans le cas de l’utilisation raisonnée, les conclusions rejoignent l’étude du CEROM : aucune différence significative n’a été observée dans les rendements de tous les sites, que ce soit dans le maïs grain sec à 14,5% ou le maïs fourrager, de même que pour le poids spécifique.

Des résultats intéressants entre hybrides de maïs

Le Réseau des grandes cultures au Québec (RGCQ) évalue chaque année des dizaines d’hybrides de maïs dont les résultats sont ensuite rendus publics. Parmi ceux-ci, quelques-uns ne sont pas traités aux insecticides. Il s’agit de maïs bio provenant d’Europe et disponible ici. Leurs rendements sont en général comparables et parfois supérieurs aux hybrides traités. Testés en parcelles, ils se trouvent soumis aux mêmes conditions que les autres semences. Bénéficient-ils d’une forme de protection contre les insectes en étant cultivés auprès d‘hybrides traités? La question se pose, selon Julie Durand, coordonnatrice essais maïs RGCQ. Le mieux serait de pouvoir comparer des hybrides non traités entre eux, mais il n’a pas encore été possible de procéder à ce type de comparaison.

Concilier environnement et économie en agriculture?

La réponse est évidente pour Alexis Rivard, analyste au Centre d’étude sur les coûts de production en agriculture (CECPA).  « En 2022, les bonnes pratiques agroenvironnementales et la rentabilité n’ont pas à être systématiquement mises en opposition ». Lorsqu’on élargit l’horizon de temps, il est possible de concilier les deux et de continuer à progresser vers une agriculture plus durable selon M.Rivard.

Les traitements de semence sont souvent vendus comme une assurance pour des risques potentiels de pertes de rendement. Pour Alexis, les recherches sur le sujet pour la culture de maïs-grain en ont fait la démonstration. « Premièrement, le risque est relativement faible. Deuxièmement, il est possible de recourir à une approche raisonnée qui n’aura pas d’impact négatif sur l’environnement ou sur votre portefeuille. Commencez par faire un bon diagnostic de vos champs quant à la présence du ravageur potentiel. Vous souhaitez jouer de prudence : essayez-le sur quelques parcelles.» 

L’épreuve du champ

Renaud Péloquin, producteur de grandes cultures à Saint-Robert, dans les environs de Sorel, va entamer sa 6e année de culture de maïs sans traitement aux insecticides. Il a débuté lentement en faisant des essais. Aujourd’hui, il considère qu’environ 80% de ses 230 hectares en culture de maïs-grain sont non traités. Comparativement à ses débuts, le choix est maintenant diversifié et il sème une quinzaine de variétés chaque année.

Le producteur a eu envie de faire l’essai de ces semences en voyant l’exemple de ses voisins et en s’informant sur les impacts des insecticides sur l’environnement. L’adaptation s’est faite facilement, sans perte de rendement. Il a toutefois dû ajuster ses dates de semis puisqu’il procède en semis direct dans de l’engrais vert.

Renaud ne voit pas d’impact financier à son choix, ou encore de risques plus élevés. Il faut toutefois être à l’aise d’essayer de nouvelles techniques et prendre le temps de s’informer sur ces dernières. Selon lui, une bonne préparation peut également faire la différence entre persévérer ou non après la première d’année d’essai.

Le seul coût additionnel qu’il a pu constater est celui en temps. Il faut en effet être prêt à marcher les champs, procéder à des inspections et appeler l’agronome au besoin. Être bien entouré par un conseiller de confiance est un atout important, juge le producteur. « Il ne faut pas avoir peur d’essayer, mais il faut connaitre ses limites », ajoute-t-il.

Des réticences encore présentes

La question des semences traitées ou non  a progressé dans le milieu agricole, mais demeure toujours un sujet délicat en 2022. Certaines personnes approchées pour commenter le sujet hésitent encore à le faire. Comme l’a indiqué un agronome qui œuvre sur le terrain, des efforts de vulgarisation et d’éducation sont à faire s’il est souhaité que certaines méthodes bien implantées changent.

L’exemple par les pairs semble être une des meilleures avenues pour convaincre du bien-fondé de délaisser les semences enrobées, en démontrant que ces pratiques non pas d’effet sur le rendement, en plus d’être bénéfique pour l’environnement. Un peu à l’exemple de Renaud Péloquin qui s’est inspiré d’un voisin pour faire le saut à son tour.

Conclusion

Alexis Rivard voit d’un très bon œil le signal envoyé par le MAPAQ dans son programme de rétribution des pratiques agroenvironnementales. « Productrices et producteurs agricoles, vous souhaitez réduire l’utilisation de traitement de semence? Nous vous appuyons ! »

Renaud Peloquin a l’intention de poursuivre avec les semences non traitées. Il surveille ce qui sera proposé par les semenciers, entre autres pour le soya et le blé, où ces options ne sont pas encore disponibles. Mais après qu’une espèce rare de bourdon ait été détectée sur ses bandes riveraines améliorées, il se dit qu’il est peut-être sur le bon chemin.  En plus de la biodiversité et des pollinisateurs, il pense également à sa santé et à celle de son entourage.

Par Céline Normandin

Références :

Réseau des grandes cultures du Québec (résultats des parcelles de maïs-grain en 2021) : file:///C:/Users/Jean/AppData/Local/Microsoft/Windows/Temporary%20Internet%20Files/Content.Outlook/N2I8AQMP/ma%C3%AFs%20RGCQ%202021%20version%20finale.pdf

Tests sur des semences traitées et non traités : http://coordination-sc.org/wp-content/uploads/ppt_resultats-parcelles_ts.pdf

Étude du CEROM : file:///C:/Users/Jean/AppData/Local/Microsoft/Windows/Temporary%20Internet%20Files/Content.Outlook/N2I8AQMP/Labrie_pone%200229136.pdf